Le 7 octobre 2024, lors d’une conférence de presse organisée dans ses locaux à Paris, la CDEFI a fait un premier état de lieux de la rentrée et des premiers dossiers prioritaires de la Conférence pour cette nouvelle année en réponse aux défis auxquels les écoles d’ingénieurs font face. Une vingtaine de journalistes étaient présents pour échanger avec les membres du Bureau de la Conférence sur ces sujets prioritaires et actualités de rentrée.
Plusieurs thématiques phares ont été abordées par le Bureau de la Conférence, notamment les effectifs et la capacité à former davantage d’ingénieurs, l’autonomie des établissements, le budget dédié à l’enseignement supérieur, la recherche, le doctorat et l’Europe.
Vivier : un enjeu stratégique pour l’avenir
Le premier axe développé concerne le vivier. En 2023-2024, les écoles d’ingénieurs comptaient 257 000 apprenants, dont 157 200 inscrits en cycle ingénieur (3e, 4e et 5e années d’études d’ingénieurs) qui a connu une légère baisse d’effectifs de 2,2 % sur un an mais une baisse plus préoccupante si on s’intéresse uniquement aux nouveaux entrants en première année de cycle ingénieur puisque les statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche indiquent une diminution de 11,5 % de ces nouveaux élèves, une baisse principalement due à la réforme du BUT . Malgré une hausse de 9,3 % des effectifs en cycle ingénieur au cours des cinq dernières années, une vigilance sera portée sur les nouveaux entrants en cycle ingénieur à la rentrée 2024 et les rentrées suivantes.
Quant à la féminisation, elle reste stable avec 29 % de femmes parmi les apprenants préparant un diplôme d’ingénieur.
Le besoin en ingénieurs diplômés supplémentaires n’est plus une hypothèse : entreprises, branches professionnelles, s’accordent sur une pénurie de 10 à 15 000 diplômés ingénieurs supplémentaires chaque année. Pour augmenter globalement le vivier et le nombre d’ingénieurs diplômés, plusieurs solutions complémentaires sont nécessaires, selon la CDEFI :
- poursuivre le soutien public envers le développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, notamment dans les écoles d’ingénieurs. La réduction des dépenses en direction du financement de l’apprentissage dans le supérieur ne laisse pas présager une suite favorable.
- développer la formation continue et la formation tout au long de la vie en simplifiant les dispositifs de financement et en défiscalisant les dépenses des entreprises en lien avec la formation des ingénieurs ;
- accueillir plus et mieux les étudiants étrangers et améliorer globalement la visibilité de l’enseignement supérieur français à l’international (faciliter les démarches administratives, élargir l’accès à l’aide à la mobilité internationale, etc.).
Conséquemment, la CDEFI réaffirme son opposition à plusieurs mesures évoquées précédemment concernant les étudiants internationaux. Elle rejette notamment l'instauration d'une caution retour et l'obligation de fixer des droits différenciés pour les étudiants extracommunautaires portant atteinte à l'autonomie des établissements et actant une sélection basée sur les moyens financiers. Elle refuse également l'instauration de quotas par pays d'origine et s'oppose à la vérification du caractère réel des études par des instances externes aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
Dominique Baillargeat souligne que « le besoin de former 15 000 ingénieurs supplémentaires chaque année est essentiel pour répondre aux enjeux de la réindustrialisation, de la transition énergétique et de la transformation numérique ».
Autonomie des établissements : un levier essentiel pour les écoles d’ingénieurs
Face aux défis financiers et organisationnels des écoles, la CDEFI a lancé un groupe de travail interne pour explorer les besoins pour accroître l’autonomie financière et en gestion des ressources humaines des écoles d’ingénieurs. Emmanuel Duflos, président de la Conférence affirme que « ce groupe a élaboré des propositions dans sept domaines clés : la gouvernance, le budget, les ressources humaines, le patrimoine, la formation, la recherche et l’innovation, ainsi que la vie étudiante ». Les résultats de ce travail seront publiés dans les mois à venir.
D’une manière générale, il convient de conserver la capacité à déroger au Code de l’éducation (ou de le faire évoluer) pour que les établissements puissent s’organiser librement (par exemple, les établissements expérimentaux qui souhaiteraient changer leur statut) et de renforcer le rôle de la CTI comme opérateur de l’État pour accompagner le développement des écoles et les formations.
Sur le plan de la gouvernance, la CDEFI propose d'accompagner l’autonomie des personnalités morale et juridique d’une subsidiarité apportant une meilleure autonomie aux écoles internes ou aux écoles imbriquées dans un établissement expérimental.
En matière de gestion budgétaire et financière, il est important de supprimer l'asymétrie de fongibilité entre le fonctionnement, la masse salariale et l’investissement, d’offrir aux établissements publics une meilleure possibilité d’emprunter pour l’immobilier (emprunter sans dévolution patrimoniale, ou encore hors conditions de la Banque européenne d’investissement), de travailler sur des conventions, contrats de financement public avec une vision pluriannuelle.
Concernant les ressources humaines, la CDEFI préconise de rendre plus modulables les plafonds d’emploi.
Budget de l’enseignement supérieur : des inquiétudes face aux coupes budgétaires
Romuald Boné indique que « le projet de loi de finances (PLF) 2025 pour l'enseignement supérieur et la recherche (ESR) en France s'annonce difficile, notamment en raison des coupes budgétaires, de l'impact de l'inflation (et du niveau de prix de l'énergie) et de la non compensation totale des revalorisations du point d’indice. Malgré les engagements passés, les institutions d'enseignement supérieur et de recherche risquent de ressentir les effets de la réduction des dépenses publiques ». Par ailleurs en lien avec le financement de l’apprentissage, La CDEFI souligne la nécessité de financer France Compétences de manière adéquate pour soutenir le développement de l’apprentissage notamment dans les écoles d’ingénieurs, en garantissant un minimum de 11 000 euros de niveau de prise en charge par apprenti et par an.
Les propositions clés de la CDEFI sont les suivantes :
- cibler les fonds de la formation professionnelle vers des formations de qualité, en conditionnant leur financement à une accréditation ou évaluation délivrée sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche ;
- orienter les aides aux employeurs qui s'engagent à verser un complément financier aux formations pour accompagner leur développement.
Recherche et doctorat
La CDEFI a publié en juillet 2024 une première note de son Conseil stratégique de la recherche, qui appelle à consolider les forces françaises en ingénierie. Cécile Delolme précise que « ce domaine est un pilier de l’innovation technologique et de la souveraineté industrielle ». La Conférence regrette que les agences de programme aient été structurées selon des approches thématiques plutôt que systémiques, ce qui ne reflète pas l'interdisciplinarité nécessaire aux grandes transitions (énergie, biodiversité, alimentation) et réaffirme la nécessité de renforcer cette interdisciplinarité dans les agences de programme et de revaloriser la recherche des écoles d’ingénieurs, qui joue un rôle essentiel pour la souveraineté technologique du pays.
Concernant le doctorat, Laure Morel rappelle que « 89 % des docteurs diplômés en 2020 sont insérés professionnellement, et 72 % d’entre eux travaillent dans le secteur de la recherche » (enquête Flash MESR-SIES). La CDEFI participe activement aux discussions au sein du groupe de travail du comité de suivi de la licence et de la licence professionnelle (CSLMD) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, visant à revaloriser le doctorat et à améliorer la fiche RNCP Doctorat d’ici 2025. En parallèle, elle souligne l’importance de l’accueil des docteurs étrangers, dont 60 % restent en France après l’obtention de leur diplôme.
Europe : vers une politique migratoire ouverte et une mobilité renforcée
Sur le plan européen, la CDEFI prône une politique migratoire ouverte et humaniste pour attirer les talents internationaux, notamment les populations déplacées, dans les secteurs stratégiques manquant de main-d'œuvre, en accueillant chercheurs, étudiants et professionnels de divers horizons, l'Europe enrichira ainsi son patrimoine intellectuel, scientifique et culturel. Elle défend des valeurs d’inclusion, de démocratie et de liberté académique.
Selon Christian Lerminiaux, « La CDEFI soutient le projet de diplôme européen qui renforcerait les opportunités de mobilité internationale pour les étudiants et les diplômés, et plaide pour l’harmonisation des cadres légaux des stages et de l’apprentissage avec la création d’un statut européen de l'apprenti et du stagiaire ».
Par ailleurs, la CDEFI a élaboré un rapport de positionnement détaillant des recommandations stratégiques pour le prochain programme-cadre européen de recherche et d’innovation, FP10. Parmi ces recommandations, elle appelle à la création d'un point d'accès unifié pour faciliter l'accès aux appels à projets, géré par la Commission européenne, simplifiant ainsi la participation des enseignants-chercheurs. La Conférence insiste également sur la nécessité de porter le budget du FP10 à 200 milliards d’euros et de créer un programme européen dédié à la recherche en ingénierie, pour soutenir la réindustrialisation et garantir la souveraineté de l'Europe face à la concurrence mondiale. La CDEFI propose également la création d'un programme dédié à la recherche en ingénierie pour répondre au manque d'ingénieurs qualifiés.
La Conférence met également en avant l’importance d’une recherche équilibrée entre fondamentale et appliquée, suggérant d’augmenter les financements pour les projets à faible niveau de maturité technologique, tout en promouvant une science ouverte avec des outils plus accessibles et des formations pour les chercheurs. Le rapport recommande également de renforcer les synergies entre les programmes européens, notamment en prenant en compte les alliances d'universités lors de l’évaluation des projets, et d’améliorer la visibilité des programmes bilatéraux avec des pays tiers. Ces rapports sont en cours de publication.
La CDEFI poursuivra ses travaux tout au long de l’année pour soutenir et défendre les intérêts des écoles d’ingénieurs, en lien avec ses partenaires institutionnels et académiques.