« Key Labs » du CNRS : manque de concertation et vives réserves sur le fond
14/01/2025
Le 12 décembre dernier, le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit, a annoncé devant la convention des directeurs et directrices de laboratoires sa volonté de distinguer 25 % des 860 unités de recherche sous sa tutelle. Des « key labs » pouvant « légitimement prétendre être qualifiées de rang mondial », formant une liste évolutive d’unités remarquables, labellisées pour une durée renouvelable de cinq ans, selon des critères d’excellence qui sont pour l’heure flous.
« Au-delà de la question essentielle des moyens humains et financiers, le CNRS offrira aux key labs un accompagnement renforcé, en lien avec les autres cotutelles. En retour, il est attendu des key labs qu’ils jouent un rôle de tête de réseau vis-à-vis d’autres laboratoires de leur domaine, notamment via la mise à disposition de plateformes scientifiques et technologiques », détaillait Antoine Petit dans le même discours.
Une décision unilatérale
Les directeurs et directrices des écoles d’ingénieurs comprennent la volonté de rationalisation et de concentration des moyens exprimée par le P-DG du CNRS. Ces efforts paraissent en effet nécessaires pour pérenniser la mission de l’organisme dans le contexte d’une impérative adaptation du budget des organismes publics à l’urgence économique actuelle. Aussi cette décision du CNRS témoigne-t-elle d’une prise en compte de son évaluation par le Hcéres.
Cependant, il est particulièrement regrettable que la décision annoncée ait été prise sans discussion préalable avec les parties prenantes : écoles d'ingénieurs, universités et autres opérateurs de recherche. Cette méthode est même inacceptable en ce qui concerne les UMR, tant elle va à l'encontre des principes de gestion qui s’appliquent à ces unités : codirection par les tutelles, collaboration équilibrée, convergence stratégique, transparence, subsidiarité.
Des critères opaques
Par ailleurs, la décision de créer des « key labs » ne semble pas basée sur des éléments tangibles et partagés au sein de la communauté scientifique. Les critères de sélection et les objectifs poursuivis ne sont pas clairement définis : on parle de « taille critique », s’agit-il d’un nombre absolu d’enseignants-chercheurs et chercheurs affectés ? d’un pourcentage de personnels CNRS affectés par unité ? On parle de « reconnaissance internationale », s’agit-il d’un nombre de publications dans telle ou telle revue ? d’un nombre de médailles ou de prix récompensant le travail du laboratoire ?
De plus, l’opacité est complète sur la méthode qui sera appliquée pour désigner des experts nationaux ou internationaux chargés de la sélection des unités selon ces critères. Dans de telles conditions, comment s’assurer du respect des principes fondamentaux de l’évaluation par les pairs ?
Le Hcéres, seule entité légitime pour évaluer les laboratoires
La CDEFI a bien noté que le CNRS souhaite réduire son implication dans la gestion et le fonctionnement de certaines UMR, dont il semble attentif au coût budgétaire avant tout, ce que la Conférence déplore.
Comment ne pas redouter le « tri » cynique que pourrait permettre la labellisation de certaines unités mixtes ? Ce tri, dangereux, matérialisé par la liste des unités distinguées, que des heureuses élues pourraient intégrer au fil de l’eau quand d’autres seraient disqualifiées, procéderait de fait d’une forme d’évaluation unilatérale et opaque ayant des conséquences concrètes sur les conditions du travail de recherche scientifique. La CDEFI s’en tient à la loi : la prérogative d’une telle évaluation incombe au Hcéres.
En conclusion, les écoles d'ingénieurs sont opposées à cette initiative qui consiste à distinguer des laboratoires par la labellisation et appellent le CNRS à l’interrompre pour consulter largement la communauté avant la publication annoncée de ladite liste.
Elles privilégient une approche inclusive et collaborative de la recherche, valorisant la diversité des contributions et la transparence des méthodes. Elles sont convaincues que c’est en adoptant une telle approche que la recherche académique française sera plus compétitive et influente sur le plan international.
Elles redoutent une mise en concurrence déloyale des laboratoires et revendiquent la concertation et la parcimonie quand il s’agit de renforcer la compétition dans un milieu qui doit aussi savoir demeurer majoritairement coopératif pour être efficace.
Enfin, la CDEFI alerte l’ensemble de la communauté académique sur les conséquences de la mise en œuvre d’une labellisation de certains laboratoires sur la structuration générale de l’enseignement supérieur et de la recherche en France.